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- MALI: Le centre de réinsertion pour mineurs de Bollé
- MAROC: Phénomène de délinquance
- QUEBEC ET AMERIQUE DU NORD: Les programmes probants auprès des jeunes délinquants persistants
- QUEBEC: Compendium 2000 des programmes correctionnels efficaces, Motiuk
- QUEBEC: La thérapie psychodynamique, Kernberg
- QUEBEC: Le modèle psychoéducatif, Gendreau
- QUEBEC: Réflexion sur la place de la psychanalyse dans l'intervention auprès des jeunes contrevenants
- QUEBEC: Réflexion sur la place des programmes de réparation auprès des jeunes contrevenants du Centre Jeunesse de Montréal
- SENEGAL: Intervention au sein d'un service de garde
- SENEGAL: Intervention en service d'action éducative
¤ MOTS CLES DES MESSAGES
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¤ L'INTERVENTION EN CRIMINOLOGIE
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10 sept. 2007
¤ QUEBEC: La thérapie psychodynamique, Kernberg
1. Références théoriques et empiriques…
La thérapie psychodynamique, décrite par Kernberg, se base fondamentalement sur les travaux de Freud, puis de ses disciples, tel que M. Mahler. Elle fait donc explicitement référence aux théories psychanalytiques contemporaines et plus lointaines. Ainsi, les principales notions qui décrivent l’individu, dans sa réalité interne et externe sont le conscient et l’inconscient, le Moi, le Ca et le Surmoi, le normal et le pathologique, la névrose, la psychose et les états limites, les stades (le stade oral, anal, le complexe d’Œdipe), les pulsions, les conflits intrapsychiques, le refoulement, etc. En ce qui concerne la thérapie proprement dit, les notions de transfert, de contre transfert, de neutralité bienveillante, d’association libre sont les concepts clés présentés par Kernberg.
2. Références légales, sociales ou politiques…
Les références légales, sociales ou politiques ne sont pas présentes dans la thérapie psychodynamique. En fait, c’est depuis l’apparition de la psychanalyse que ces thérapies sont utilisées.
3. Cadre et contexte de prédilection…
C’est avec le patient que le thérapeute fixe la fréquence de ses séances. En général, il s’agit d’une séance par semaine, mais, en fonction de la situation, cela reste variable. Cependant, une fois que le cadre est posé, il est important dans ce genre de thérapie de le respecter et de ne pas le changer, sauf dans de rares situations. Ainsi, les interactions entre le patient et le thérapeute sont le plus régulières possibles. De plus, elles sont ponctuelles, puisque le thérapeute n’intervient pas en dehors de ce cadre thérapeutique, afin de préserver l’authenticité de « ce lien thérapeutique » avec son patient.
Généralement, le thérapeute intervient seul, et ne travaille pas en équipe. Il doit garder, tant que possible, la confidentialité des propos du patient, ici, état limite, à moins qu’il s’agisse d’informations très particulières. Il intervient dans un contexte volontaire, où le patient devrait idéalement désirer changer.
4. Modalité des interactions…
Les interactions sont donc basées sur une relation duelle entre le thérapeute et le patient. Elles sont définies en terme de relation transférentielle et contre-transférentielle.
5. Définition des objectifs poursuivis et de l’alliance thérapeutique…
L’objectif principal du thérapeute est de faire en sorte que les conflits intrapsychiques inconscients du patient, qui génèrent des difficultés d’adaptation, soient mis à jour, c’est à dire, qu’ils deviennent conscients, afin que la relation d’objets, archaïque (clivée et partielle) devienne plus élaborée et dépasse les stades oraux et anaux, pour atteindre une dimension triangulaire, soit totale. Plus simplement, le thérapeute doit permettre au patient de changer en l’aidant à identifier ses représentations défaillantes de l’objet, et de soi, afin de les intégrer de façon plus élaborée.
C’est par l’interaction thérapeutique, appelée transfert, que les fantasmes archaïques du patient sont réactualisés dans l’ici et maintenant. Par ce biais, le thérapeute doit analyser la relation qui se joue afin de l’interpréter au patient de façon à ce que ce dernier puisse comprendre les motivations et défenses inconscientes qui déterminent ses passages à l’acte. Son rôle n’est ni celui d’un éducateur ni d’un enseignant : il ne lui donne ni conseils et ne lui fait aucun reproche, ne prend pas partie, ne juge pas. Pour que le patient puisse parvenir à avoir un discours « total », sans mensonges, tabous ni retenues, celui-ci doit se sentir parfaitement à l’aise et en confiance. Pour cela, le thérapeute doit lui manifester une écoute compréhensive et attentive, ainsi qu’une attitude neutre et bienveillante.
Avant que la psychothérapie expressive ne commence réellement, le patient et le thérapeute doivent établir ensemble un contrat, afin de structurer le traitement. Les objectifs doivent donc être clairs et réalistes, ainsi que satisfaisants pour le patient. C’est également par ce contrat que les deux individus vont se mettre d’accord sur le tarif, le mode de paiement, le prix des séances manquées, la fréquence des séances, la conduite vis-à-vis de tierces personnes etc. L’échéance n’est pas prédéterminée, car celle-ci dépend de l’évolution du traitement, différent selon chaque individu, mais la fin est déterminée par le thérapeute, lorsque celui-ci juge que le patient a atteint ses objectifs.
6. Grille d’analyse/explication des problèmes cibles…
Dans la thérapie psychodynamique des personnalités limites, les problèmes du patient sont avant tout internes et sont décrits en terme de pathologie. L’organisation intrapsychique précoce serait restée archaïque, ce qui entraînerait des conflits intrapsychiques préoedipiens importants ainsi que des représentations psychiques non élaborées, et fixées aux stades oral et anal. Ainsi, les relations triangulaires seraient particulièrement déficitaires, puisque mal, voire non intégrées.
Le Moi est donc mal construit, entre un Ca trop présent (les pulsions et les fantasmes archaïques débordants et n’étant pas maîtrisables), et un Surmoi sadique et persécuteur, qui n’est pas intériorisé, ne refoulant donc pas suffisamment les pulsions, et expliquant par là même, les nombreux passages à l’acte de l’individu. Les relations à l’autre, directement liées à la relation d’objets sont donc défaillantes, puisqu’elles sont, comme nous l’avons évoqués, archaïques et clivées.
7. Stratégies d’intervention et processus de changement…
→ Matériel ciblé et travaillé durant l’intervention
Le thérapeute se centre sur les éléments verbaux du patient, mais aussi ceux qui sont non verbaux, dont les attitudes gestuelles et les silences.
Plus particulièrement, dans le discours, celui-ci va chercher à analyser le transfert (positif comme négatif) dans l’ici et le maintenant, soit les émotions et les fantasmes qui se jouent dans la relation thérapeutique, et que le patient lui projette. Etant donné qu’il s’agit d’une reproduction des émotions et réactions vécues dans le passé du patient, le thérapeute parvient alors à comprendre la dynamique interne et la relation de ce dernier aux objets passés intériorisés. Deux types de transfert sont mis en place : Les transferts primaires, concernant les relations d’objet partiel, et les transferts élaborés, se jouant au niveau des relations d’objet total. Avec les personnalités limites, ce sont les transferts primaires qui sont à prendre en compte, qui doivent être progressivement remplacés par les transferts élaborés, avec l’aide du thérapeute et son éclairage.
Le contre-transfert est également un matériel qui doit être utilisé par le thérapeute, et concerne « toutes les réactions affectives du thérapeute vis-à-vis du patient. » La plupart du temps, celui-ci est une conséquence des défenses archaïques d’un transfert intense et primaire. Ainsi, le contre-transfert permet directement d’éclairer le transfert, et de mieux comprendre le patient. Il est en ce sens indispensable lors du traitement, et particulièrement de l’interprétation.
Enfin, il arrive que des passages à l’acte aient lieu. Dans ce cas, le thérapeute doit mettre un accent particulier dessus et ne pas les mettre de coté. Il doit tenter de l’interpréter avec le patient afin que ce dernier comprenne mieux et extériorise ses conflits internes.
→ Attitudes encouragées chez l’intervenant
Le thérapeute encourage son patient à tout dire, par son attitude bienveillante et son écoute attentive. Il doit être le plus neutre possible, c'est-à-dire un intérêt objectif et équilibré » afin de permettre au patient de tout dire, sans investir des éléments plus que d’autre. Il doit aussi adopter une « attitude d’abstinence », selon Kernberg, c'est-à-dire, ne pas répondre aux exigences conscientes et surtout inconscientes du patient, tout en restant quelqu’un de chaleureux, d’humain, d’attentionné.
Par contre, celui-ci doit être exigent sur ce qui concerne le contrat et l’engagement du patient. Il doit lui faire comprendre la nécessité d’un tel contrat. Pour les personnalités limites où la gestion du temps est difficile, le thérapeute doit être ferme et intransigeant, à un point tel qu’il pourra interrompre le traitement si cela n’est pas respecté.
→ Interventions et rétroactions verbales de l’intervenant
Le thérapeute a toujours une écoute attentive, qui lui permet de sélectionner le matériel sur lequel mettre l’accent, et d’explorer les différents thèmes, soit l’affect, le transfert, le contre-transfert et/ou la réalité externe, afin de travailler sur ceux qui lui semblent les plus significatifs.
Par des outils d’investigation, il parviendra La clarification est la première étape du processus. Cela consiste à inviter le patient à toujours en dire plus, à expliciter davantage, à être plus clair, à expliquer son discours. Ainsi, le thérapeute va lui demander d’éclairer des zones qui sont sombres, inexplorées ou incohérentes. Cela permet au patient, comme au thérapeute, de comprendre davantage ses pensées et de faire en sorte que le matériel qui servira plus tard à l’interprétation soit le plus « épluché » possible.
La seconde étape est celle de la confrontation. Cela permet de rendre le patient conscient de ses conflits et de ses dissonances, qui lui semblait avant cela naturels. Encore une fois, les interventions du thérapeute sont limitées aux éléments qui lui semblent indispensables de reprendre, et sont énoncés sous forme d’une question, afin d’inciter le patient à réfléchir davantage. Cette étape est le dernier pas vers l’interprétation.
Enfin, l’interprétation proprement dite met en lien le matériel conscient avec les motivations et désirs inconscients, afin que les conflits soient rendus intelligibles, et par là-même « désamorcés ». Pour cela, il doit analyser le transfert « qui consiste dans l’analyse de la réactivation dans l’ici et maintenant des relations d’objets intériorisées du passé, et qui constitue aussi l’analyse des constructions du Moi, Surmoi et Ca. » Par ses interprétations, qui sont des formulations d’hypothèses concernant les liens entre les conduites conscientes et inconscientes du patient, le thérapeute doit parvenir à faire émerger la signification du transfert inconscient.
8. Indications/Contre indications…
C’est lors de l’évaluation préliminaire que le thérapeute juge de la pertinence de la thérapie pour ses patients. Ces traitements sont privilégiés pour les personnalités limites ou les névrosés. De plus, l’individu doit être dans une démarche active de changement, et doit être ouverte à cette forme de thérapie. De plus, comme il s’agit de traitements essentiellement basés sur la capacité de l’individu à faire des liens, il est essentiel qu’il ait un quotient intellectuel normal, sinon quoi les interprétations du thérapeute ne feront pas de sens.
Par contre, ils sont contre indiqués pour les psychotiques et plus particulièrement pour les personnalités psychopathiques, ainsi que pour ceux qui ne sont pas en demande, car ils court-circuiteraient la démarche.
9. Résultats et efficacité…
Ces thérapies psychodynamiques privilégient la qualité de la relation, et s’intéressent à l’individu dans toute sa singularité. Ainsi, les études quantitatives ne sont pas réalisables car il s’agit d’un traitement à long terme, où les changements peuvent apparaître longtemps après la thérapie. Ceux-ci sont internes et ne concernent pas directement le comportement observable. Cela explique malheureusement en grande partie pourquoi ces thérapies ne sont pas d’avantage utilisées, car, dans une ère où tout doit être quantitativement justifié, elles n’apportent pas de résultats concrets et chiffrés en ce qui concerne l’efficacité du traitement.
10. Conclusions sur « les ingrédients actifs »…
Il est indispensable de maintenir le cadre du traitement le plus stable possible, particulièrement pour les personnalités limites, qui ont des défenses très précaires et qui pourraient être déstabilisés. Cela concerne les éléments du contrat, soit les limites spatiales et temporelles, le déroulement des séances, la responsabilité et les engagements du patient comme du thérapeute.
Les objectifs doivent être réalistes et les moyens explicités. Par contre, le contrat ne doit pas être violé, ou si tel est le cas, il faut revenir sur la situation avec le patient, tenter de comprendre et de trouver des solutions. Si cela est impossible, le thérapeute devra mettre fin au traitement.
Entre la mise en place du contrat et le traitement proprement dit, une frontière claire doit être mise en place, pour que le patient s’engage correctement dans le processus thérapeutique.
La communication entre le patient et le thérapeute doit être la plus authentique et la plus ouverte possible. Pour cela, la neutralité bienveillante est fondamentale, comme nous l’avons précisé plus haut.
¤ QUEBEC: Le modèle psychoéducatif de Gendreau
1. Références théoriques et empiriques…
Le modèle psychoéducatif est une approche humaniste, vivement inspiré de théories issues de la psychologie, plus précisément celles d’Erikson (1963), et de son concept de stade du développement de l’identité en lien avec la relation de l’individu à son milieu. Il est aussi inspiré des théories cognitivistes, tel que la théorie interactionniste et constructiviste de Piaget (1956), incluant les notions d’assimilation et d’accommodation, et de stades du développement de l’intelligence. Il repose tout particulièrement sur deux références :
- Celles de l’être humain, en tant qu’individu en constante évolution et spécifiquement en difficulté, et en déséquilibre, sur le plan physique, psycho-affectif, social, cognitif et moral, expliquant ainsi sa mésadaptation sociale.
- Celles de l’interaction entre l’être humain en difficulté et son environnement, plus particulièrement l’intervenant.
C’est de ces notions qu’est directement inspirée la théorie de rééducation de Guindon (1969), puis approfondit par Grégoire dix ans plus tard, en la conceptualisant comme une restructuration du Moi, par l’actualisation des forces individuelles. Enfin, Gendreau (1978) introduit la notion de milieu de vie comme un ensemble structural dynamique de dix composantes essentielles interreliées et propose une organisation qui en définit les principaux aspects.
2. Références légales, sociales ou politiques…
Le modèle psychoéducatif québécois a été élaboré à partir des années 1960, par des éducateurs de divers centres de réadaptation et de protection pour les jeunes en difficulté, notamment celui de Boscoville, aujourd’hui encore une référence pour le développement de ce modèle. C’est dans les années 70 qu’il était à son essor et appliqué de manière pure, dans les unités de vie. Ainsi, le modèle psychoéducatif est apparu dans un contexte de désinstitutionnalisation des adolescents en difficulté, et de requestionnements des pratiques éducatives.
3. Cadre et contexte de prédilection…
Dans le modèle psychoéducatif québécois de Gendreau, il s’agit d’un cadre légal, et particulièrement en centre de protection ou de réadaptation. Il s’agit donc de répondre au mandat, soit de la Loi sur la Protection de la Jeunesse, soit de celle sur le Système de Justice Pour Adolescents, anciennement la Loi pour les Jeunes Contrevenants. C’est donc dans un contexte institutionnel d’approche de milieu, généralisée à de nombreux milieux d’intervention, que le modèle psychoéducatif est utilisé. Ainsi, dans un tel contexte, le travail d‘équipe est au cœur, puisqu’il ne s’agit pas du suivi ponctuel d’un jeune, mais bien d’un suivi « intensif », au sein d’une unité de vie qui peut répondre à ses besoins, dans un contexte de groupe, pendant un délai, définit par l’ordonnance du juge.
4. Modalité des interactions…
Le cadre théorique même met un bras d’honneur sur les interactions, qui sont au cœur de l’intervention. Elles sont majoritairement en groupe, étant donné qu’il s’agit d’un milieu de vie où se développent les jeunes en difficultés. Dans ce milieu d’intervention, « le groupe doit servir à l’évolution des individus » (Gendreau, 2001): il est un moyen d’aider le jeune à se réadapter dans un univers social. Un volet individuel est également consacré aux jeunes, pour répondre au souci de l’individualisation du suivi, notamment en ce qui concerne les activités (scolaires, artistiques, sportives etc.) et les rencontres.
C’est aussi avec tous les partenaires sociaux que les intervenants sont en relation, afin de rendre le suivi le plus cohérant possible et de mettre toutes les chances du coté du jeune, soit les professeurs, les éducateurs, les parents etc.
5. Définition des objectifs poursuivis et de l’alliance thérapeutique…
Il y a, dans l’approche psychoéducative, deux niveaux d’objectifs, tel que l’explique Gendreau : Il y a d’abord les objectifs généraux, qui sont ceux qui correspondent au mandat de l’établissement, et, par extension, de la société. Dans ce milieu de vie, l’une des attentions des intervenants est particulièrement l’alliance thérapeutique, puisque créer une relation positive entre eux et les jeunes est fondamentale, dans ce contexte de « vécu partagé ».
Les objectifs spécifiques, quant à eux, sont utilisés en fonction des objectifs généraux, et adaptés au contexte et au cadre de l’unité. Ils sont donc définis, « en lien avec les composantes du milieu ». Ils sont des étapes, non déterminées dans le temps et souples, qui permettent d’atteindre progressivement les objectifs généraux, dans le temps déterminé par la loi (exemple : l’ordonnance du juge.) Les critères principaux sont leur caractère observable, mesurable, réaliste, concret et limité. Il faut avoir une attention toute particulière sur les forces, les faiblesses et les différents besoins du jeune, pour parvenir à permettre au jeune de retrouver un certain équilibre, dans ses sphères développementales et sociales.
Ces objectifs spécifiques sont mis en place avec la collaboration du jeune, des autres professionnels et, si possible, des parents. De façon à le rendre le plus acteur possible, l’intervenant essaye au maximum de faire en sorte que ce soit lui qui découvre et spécifie ses objectifs.
6. Grille d’analyse/explication des problèmes cibles…
Selon l’approche humaniste de Gendreau, « toute conduite humaine étant globale » et « déterminée par une foule de facteurs » (Gendreau, 2001). Ainsi, dans ce contexte de réadaptation et de protection, les problèmes ciblés sont définis en terme de besoins, qui ne sont pas comblés adéquatement. Ainsi, le fonctionnement interne et externe de l’individu serait en déséquilibre, soit au niveau de lui-même et de son environnement.
7. Stratégies d’intervention et processus de changement…
→ Matériel ciblé et travaillé durant l’intervention
Durant l’intervention dans une approche humaniste, c’est avant tout l’expérience vécue dans l’ici et le maintenant qui est ciblée, c’est sur cet aspect que les intervenants travaillent. Ainsi, dans ce milieu de vie, adapté spécifiquement aux besoins des jeunes, où un cadre clair est définit, tant au niveau du temps, de l’espace, que des règles de vie (établissement d’horaires constantes, d’un espace sécurisant, d’un code de vie et de procédures cohérents et appropriés), le professionnel se centre sur les comportements observables et mesurables des jeunes, pour être en mesure d’évaluer son évolution et ses progrès. L’intervention laisse donc, particulièrement dans les premiers temps, une large place à l’étude des comportements dans la réalité du milieu de vie, par l’observation.
L’intervention met un accent tout particulier sur le projet de vie du jeune, qui est vu comme un « chemin tracé dans ses grandes lignes », qui lui ouvrira de nouvelles possibilités. C’est tout au long du suivi, par le projet d’intervention, que ce projet de vie est peu à peu mis en place et concrétisé, par un accompagnement du jeune dans les situations vécues, et en orientant sa participation dans les activités du milieu, ainsi que, peu à peu, son autonomie, car, en travaillant sur les forces et les faiblesses du jeune, c’est avant tout la généralisation des conduites acquises, qui est ciblée, ainsi que le retour du jeune à un certain équilibre.
Dans ce milieu de vie, la relation individuelle entre l’intervenant et le jeune est très importante. Les contacts intimes, la bonne connaissance de chaque jeune permettent notamment d’instaurer un lien de confiance avec ce dernier, et, de ce fait, de faciliter sa collaboration tout au long de son suivi. En plus du jeune, il est important de parvenir à rendre partenaire de la démarche d’intervention les parents et toutes les personnes significatives dans la vie du jeune, de façon à ce que le milieu naturel soit le plus propice à recevoir et accueillir le jeune, lors de son retour dans la communauté.
→ Attitudes encouragées chez l’intervenant
Dans la perspective psychoéducative, l’intervenant doit donc avoir une attitude à la fois d’éducateur et de psychologue. Il est donc interventionniste, puisque c’est directement au cœur du vécu du jeune qu’il intervient. C’est en cela que l’on parle de « vécu partagé ». L’intervenant doit donc pouvoir accompagner le jeune dans la participation aux différentes activités du programme, mais aussi participer activement à la vie du milieu : il doit être dynamique, congruent, disponible, sécurisant, encourageant, compréhensif, interactif. Il doit aussi, de façon plus technique, avoir des qualités d’animateur de groupes, d’évaluateur, de planificateur, d’organisateur, d’observateur, de facilitateur et de médiateur, lors de conflits, etc.
Il doit aussi parvenir, afin d’entrer en relation avec le jeune et de développer un lien significatif de confiance, pour vivre des relations harmonieuses avec lui, être à l’écoute, favoriser l’échange, rester objectif, être souple, empathique. On ne lui demande pas d’être neutre, puisque sa personnalité, ses valeurs et son vécu sont les forces de ses interventions et de ses méthodes de travail, auprès du jeune.
Par toutes ces qualités professionnelles, ainsi que sa connaissance sur chacun des jeunes pour leur permettre de les aider à réaliser leurs objectifs en leur donnant les moyens pour le faire et rendre le milieu opérationnel, il doit permettre aux jeunes de s’approprier ses objectifs généraux et de les atteindre, en leur donnant un sens. C’est par un système d’évaluation et de reconnaissance que l’intervenant parviendra à apprécier l’évolution des conduites des jeunes et que ces derniers intérioriseront peu à peu les comportements adéquats à acquérir, et ceux qui sont à abandonner. Des moyens renforçateurs, implicites ou explicites sont continuellement utilisés par les intervenants, pour signifier aux jeunes les progrès réalisés, et ceux qui restent encore à accomplir.
→ Interventions et rétroactions verbales de l’intervenant
L’intervenant doit avoir un discours encourageant, et reconnaître les qualités, les efforts et les acquis, bien plus que ses échecs et ses faiblesses. Il est important que lors des évaluations, le discours ne soit ni dévalorisant, ni culpabilisant, tant pour le jeune, que pour ses parents. Le système de reconnaissance mis en place permet que « le jeune puisse intérioriser la satisfaction d’avoir réussi ce qui était proposé ou pour lui souligner les progrès qui lui reste à accomplir. » (Gendreau, 2001) Ainsi, l’intervenant doit utiliser les félicitations, les témoignages de satisfaction, d’affection etc. le plus souvent possible, comme un renforçateur qui favorisera les comportements adéquats du jeune, et pour atténuer ou faire disparaître ceux qui ne le sont pas.
8. Indications/Contre indications…
Le modèle psychoéducatif est un modèle individuel et de groupe, privilégier tout particulièrement pour les adolescents en difficultés. Rien n’indique les contre indications du modèle psychoéducatif, en ce qui concerne les interventions en criminologie. Il semble, cependant, qu’elles ne concernent pas les adultes, mais uniquement les mineurs, ou jeunes majeurs, ceux-ci étant dans des stades de développement plus réceptifs aux changements, par un apport éducatif intensif.
9. Résultats et efficacité…
Gendreau nous énonce dans son texte que l’approche psychoéducative utilise un modèle d’intervention qui n’est pas scientifiquement quantifiable, c'est-à-dire que l’efficacité n’est pas réellement démontrée. Cependant, en ce qui concerne le taux de récidive, il semblerait, selon Leblanc et al., que cette approche a montrée de très bons résultats, particulièrement à la suite de l’évaluation de Boscoville, (Leblanc, 1983) où la méthode s’est avérée être la plus efficace en internat.
Aujourd’hui, à cause de certains changements sur le plan judiciaire et institutionnel, il semble que pour que l’approche reste efficace, elle doit être conjointe à une intervention cognitivo-comportementale ou cognitivo-développementale.
10. Conclusions sur « les ingrédients actifs »…
Un certain nombre d’éléments doivent être mis en place pour favoriser un changement, durable dans le temps.
Tant les fondements théoriques que les programmes qui sont à la base du travail de l’intervenant doivent mêler harmonieusement richesse, originalité et cohérence. L’intervenant doit avant tout avoir une bonne connaissance du jeune, de ses besoins, de ses forces et ses faiblesses, afin de pouvoir avoir un plan d’intervention individualisé le plus pertinent et adapté. Il doit croire dans le potentiel du jeune, et lui montrer qu’il met de l’espoir en lui. Il doit avoir une attitude bienveillante et respectueuse qui favorise la valorisation et la confiance, chez le jeune. Ses interventions seront appuyées par des outils, directement en lien avec le système de reconnaissance, pour permettre au jeune de renforcer ses comportements adéquates, et, finalement, de les généraliser. Il est conseillé d’utiliser au maximum pour le jeune des supports originaux, pertinents qui favorisent des expériences nouvelles, pour le plan d’intervention, afin de l’ouvrir à de nouvelles perspectives, adaptées à ses besoins et à ses forces.
Le milieu spécialisé doit lui aussi être adapté aux besoins de tous, et équilibré, entre chaleur et stabilité : l’objectif est que le jeune s’y sente bien, chez lui, mais soit contenu par un cadre permettant une vie en groupe satisfaisante pour tous. Les notion de temps et d’espace doivent donc être adaptés et réfléchis aux besoins des jeunes. Le groupe, quant à lui, doit être une force : Ce vécu partagé est un apprentissage social pour le jeune, qui apprendra à vivre les relations avec les pairs, les adultes, l’autorité, les règles, de manière adéquate.
Enfin, l’objectif final de l’intervention étant le retour du jeune dans la communauté, le milieu doit toujours s’inscrire au cœur de cette communauté, et particulièrement, celle du jeune. Le partenariat avec les parents, les acteurs sociaux significatifs est donc lui aussi un ingrédient essentiel pour permettre aux jeunes de retrouver un équilibre durable.
10 mai 2006
¤ QUEBEC: Réflexion sur la place de la psychanalyse dans l'intervention auprès des jeunes contrevenants
INTRODUCTION
Les actes criminels des mineurs sont l’une des grandes préoccupations de nos sociétés, européennes comme nord américaines. Il paraît essentiel, afin de proposer des traitements adaptés aux adolescents délinquants, de tenter de comprendre les mécanismes qui sont à l’origine de tels passages à l’acte, quelle que soit la nature du délit. L’influence de la psychanalyse, et par extension de l’approche psychodynamique, sur le développement de la psychocriminologie se situe essentiellement dans son intérêt pour les motivations inconscientes et les conflits internes qui peuvent concourir à amener un adolescent à commettre des actes délictueux. (D. Casoni, 2003) De nombreux travaux, depuis l’apparition de la psychanalyse, et particulièrement une quarantaine d’année, ont permis de faire avancer la compréhension du fonctionnement psychique des individus qui s’engagent dans un mode de vie délinquant. C’est donc dans un souci d’effectuer une étude individualisée qui vise à comprendre le jeune qui a commis l’acte criminel, sur un plan psychique, que je me poserais la question suivante : En quoi la perspective psychanalytique est-elle nécessaire dans le traitement de la délinquance juvénile?
La première partie sera consacrée à l’acte délinquant dans le courant de la psychanalyse. Comprenez bien que pour proposer un cadre conceptuel explicatif de la psychanalyse dans le champ de la délinquance, il sera inévitable de suivre des voies théoriques, que je me serai efforcée de rendre le moins pesantes possible, afin de ne pas décourager le lecteur. Tout d’abord, je ne peux pas omettre de définir, dans un premier temps, ce qu’est la psychanalyse. Je montrerai alors comment elle s’est petit à petit intéressée à l’adolescence, puis à la délinquance, en évoquant les principaux pionniers européens, à mes yeux. Je terminerai cette première partie en proposant les concepts psychanalytiques qui éclairent le fonctionnement psychique du délinquant.
Dans sa pratique clinique, le criminologue a recours à différentes méthodes d’évaluation et différents modes de traitement. Dans ma seconde partie, je m’intéresserai donc aux différents modèles d’intervention d’influence psychanalytique, axés sur la compréhension de l’agir délinquant, qui peuvent être proposés au mineur dans le cadre judiciaire. Je présenterai successivement les cinq types de psychothérapies psychanalytiques qui semblent être les plus utilisées, puis rendrai compte des limites de leur application dans le domaine de l’adolescence délinquante.
Enfin, lors de la troisième partie de ce travail, je confronterai la théorie psychanalytique avec les trois principales approches dans le traitement de la délinquance juvénile. Mon objectif sera que vous puissiez saisir à quel point l`éclairage des concepts psychanalytiques dans les différents modèles d’intervention est intéressant, à quel point il semble indispensable de les intégrer dans notre pratique, si nous voulons apporter l’aide la plus exhaustive possible à ces jeunes.
I. L’Évolution de la Psychanalyse dans le champ de l’adolescence Délinquante
1. Comment définir en quelques mots ce qu’est la psychanalyse?
Afin que nous nous entendions sur ce qu’est la psychanalyse, il paraît essentiel d‘en définir le concept dès maintenant. Cependant, je souhaite dors et déjà rassurer mes lecteurs… Étant consciente non seulement de la complexité de ce domaine mais aussi de sa spécificité, qui nécessite de l’avoir longuement étudié pour en comprendre ses aspects les plus complexes, je tenterai d’être la plus brève et la plus claire possible, afin de ne pas risquer de vous décourager en vous proposant une lecture indigeste.
La psychanalyse ne peut être évoquée sans y introduire son père fondateur, le médecin viennois S. Freud, qui l’a fondé à partir de 1885. Il me semble toutefois essentiel, pour permettre une meilleure compréhension de la définition que je proposerai, de présenter le contexte d’apparition de la psychanalyse. Celle-ci a été précédée de deux phases dans les recherches de Freud, qui lui permirent de se rendre compte que la remémoration et la réactualisation émotionnelle des scènes traumatiques conduisaient à la guérison de ses patients:
- la méthode cathartique, qui consiste à mettre le patient sous hypnose afin de découvrir l'origine des symptômes hystériques.
- l'association libre, qui vise à pratiquer la catharsis sans l'hypnose. Freud cherche alors à favoriser la remémoration en invitant le patient à dire librement ce qui lui vient à l'esprit et en travaillant sur les chaînes associatives.
C’est ainsi que Freud donna une définition de la psychanalyse, en 1922, en trois termes. Elle est à la fois :
- une méthode d’investigation de processus mentaux qui consiste essentiellement à mettre en évidence la signification inconsciente des paroles, des actions et des productions imaginaires (tels les rêves, les fantasmes, les délires) d'un sujet.
- une technique de traitement des désordres névrotiques, basée sur cette méthode d’investigation, et rendue spécifique par l'interprétation contrôlée de la résistance, du transfert et du désir. En ce sens, le mot « psychanalyse » est synonyme de «cure psychanalytique».
- un corps de savoir psychologique dont l’accumulation tend à la formation d’une nouvelle discipline scientifique. C’est donc un ensemble de thèmes psychologiques et psychopathologiques où sont systématisées les données apportées par la méthode psychanalytique d'investigation et de traitement.
Il semble également indispensable d’ajouter à cette définition le concept d’appareil psychique que modélise la psychanalyse par des « topiques », qui indiquent des « lieux », non pas au sens propre, mais des systèmes structurés qui s'articulent entre eux selon une dynamique. Freud a défini un grand nombre de concepts « métapsychologiques » pour parvenir à décrire cet appareil psychique véritablement complexe. Dès 1895, il élabore une première topique : celle qui distingue le conscient, le préconscient (autrement dit, la mémoire accessible), et l'inconscient, comprenant notamment les souvenirs refoulés, inaccessibles. Puis, en 1920, il crée une seconde topique, qui distingue le Ça, pôle pulsionnel inconscient de la personnalité, le Moi et le Surmoi. Le Moi doit assurer une adaptation à la réalité, là où le Ça ne se préoccupe pas des contraintes extérieures. Mais, le Moi est aussi le responsable de nombreuses « défenses » pathologiques. Le Surmoi est l'intériorisation de l'interdit parental.
Mais le moteur qui dynamise tout cet appareil, c'est la pulsion, comme l'affirmera LACAN. Retenons qu'elle naît dans le Ça, pur désir sans intégration à la personnalité et sans considération pratique, et qu'elle sera intégrée, remaniée, par le Moi. Sous la pression du Surmoi, le Moi refoulera éventuellement cette pulsion, la rendant inconsciente et névrotique.
2. L’émergence de l‘adolescence dans la psychanalyse
Le terme adolescence n’est apparu qu’en 1848 et était encore très peu utilisé alors. C’est avec Freud que l’intérêt s’est petit à petit porté sur la singularité de l’adolescence, avec particulièrement l’avènement du stade pubertaire, essentiel en psychanalyse. En effet, la découverte de la sexualité infantile est l’un des points de départ de la psychanalyse, et pour Freud, l’évolution psycho-sexuelle se fait en deux phases. Une première, qui s’achève avec la mise en veilleuse des conflits oedipiens de la petite enfance et l’entrée dans la période de latence. La seconde débute avec la puberté, temps décisif qui va donner à la vie sexuelle infantile sa forme définitive, normale ou anormale :
Ainsi, ce n’est pas l’adolescence qui constitue un repère essentiel mais les « transformations de la puberté », où la pulsion sexuelle, jusqu'alors essentiellement autoérotique sous le primat de la génitalité. Un certain statut est donc accordé à l’adolescence, mais strictement limité par la nécessité impérative de réserver à l'infantile la place déterminante. Elle sera la période de transformation finale récapitulant et développant l'évolution que le sujet avait accomplie pendant ses premières années. Pour résumer, selon l’expression de Kestemberg, en 1980, « tout se prépare dans l’enfance, mais tout se joue à l’adolescence ».
La possibilité de soigner les adolescents par la psychanalyse a été occultée jusqu’à la fin des années 50. Puis, des auteurs psychanalystes, tel que Laufer, en Angleterre, ou Blos aux États-Unis, ont ouvert la voie à une véritable pratique psychanalytique avec les adolescents. Depuis lors, des centres de consultation adolescents ont été créés, avec le premier à Genève en 1973.
3. L’évolution de la place de la délinquance dans la psychanalyse
3.1. Les principaux pionniers européens
S. Freud n’a pratiquement rien écrit sur la délinquance et le crime. En effet, il nourrissait une véritable aversion pour les individus qui transgressent les lois de la société, et considérait que la psychanalyse n’était pas « faite pour les canailles. » Il ira même jusqu’à déconseiller à ses élèves de prendre en analyse les délinquants. Il dira : « Notre art échoue devant de tels gens, notre perspicacité même n’est pas encore capable de sonder les relations dynamiques qui dominent chez eux. » Toutefois, en 1916, il consacrera un passage d’un ouvrage à la motivation pouvant conduire à commettre un acte délictueux, en le rapprochant directement du sentiment de culpabilité inconscient trop oppressant, amenant le criminel à chercher à être puni. Cette description dynamique inconsciente proposée par Freud, tout à fait nouvelle, situe nettement la psychanalyse dans un champ d’investigation cherchant à comprendre l’organisation inconsciente qui amène l’homme à faire des actes criminels.
A. Aichhorn, un pédagogue psychanalyste autrichien, est l’un des rares à avoir fait de la délinquance un champ d’application possible de la psychanalyse. Il a beaucoup travaillé auprès d'enfants et d'adolescents abandonnés, carencés et délinquants. Soutenu par Freud, il développe, entre 1918 et 1922, une pratique originale avec les jeunes délinquants qu'il reçoit dans le foyer éducatif dont il a la charge. A la source de l’inadaptation à la vie sociale, il repère une perturbation des relations objectales précoces. En opposant bonté et douceur à l'attente de sanction des jeunes, il crée un effet de surprise qui précipite le transfert positif de l'adolescent délinquant. Une fois la relation engagée, l'identification et la reprise de l'Idéal du Moi constituent les deux ressorts essentiels pour modifier la personnalité de ces jeunes. A partir du traitement de la délinquance, les travaux et la pratique d'Aichhorn ont laissé une empreinte décisive dans le mouvement psychanalytique.
M. Klein, psychanalyste britannique, s’est elle aussi penchée sur les tendances criminelles des adolescents, en les rapprochant directement aux fantasmes sadiques. En 1927, elle se réfère aux théories freudiennes pour expliciter que l’inconscient contient toutes les tendances et tous les fantasmes refoulés. Selon elle, les refoulements les plus profonds sont ceux qui frappent les tendances les plus antisociales. C’est l’analyse des jeunes enfants, de trois à six ans, qui donne une image très éclairante de la précocité de cette lutte entre la partie civilisée et la partie primitive de la personnalité. A cet âge, l’enfant dépassé ses fixations orales, parmi lesquelles elle distingue la succion et la morsure, intimement liée aux tendances cannibaliques. C’est aussi la première année que s’accomplit une bonne partie des fixations sadiques-anales. Le terme d’érotisme sadique-anal désigne le plaisir que procurent la zone érogène anale et la fonction d’excrétion, ainsi que le plaisir tiré de la cruauté, de l’autorité, de la possession. Pour elle, les tendances sadiques-orales et sadiques-anales sont celles qui jouent le rôle le plus important, dans le développement de la formation criminelle.
Pédiatre et psychanalyste anglais, D W. Winnicott s’est intéressé quant à lui à ce qu’il a appelé la tendance antisociale, vers la fin des années 40. Ce concept original permet d'expliquer certains comportements délinquants dont il attribue l'origine à une déprivation, c'est à dire à une perturbation survenue très tôt dans l'environnement de l'enfant. Ces comportements doivent être considérés comme des appels au secours et interprétés comme des signes d'espoir. Winnicott ne cessa de s’intéresser à cette question tout au long de sa carrière. Il s'adressera beaucoup à des travailleurs sociaux, des magistrats, des enseignants, des médecins, des familles d'accueil et des parents, afin de les aider à mieux prendre en charge les enfants à tendance antisociale et à trouver des traitements et des structures d'accueil appropriés.
En 1946, le professeur Lagache, psychiatre et psychanalyste français, contribuera au moment décisif où s'opère une mutation dont profitera l'Éducation surveillée : Celui-ci ouvre une fenêtre conceptuelle qui renouvelle le regard sur la délinquance juvénile, par une méthode souple, évolutive, adaptable au projet d'éducabilité tournée vers l'individu en devenir ; il intègre les acquis de la psychologie de la première moitié du XXème siècle, tout en bénéficiant des découvertes de la psychanalyse. Sa méthode intégrative, synthétique, vise à la connaissance et à la reconnaissance du sujet dans sa réalité psychique.
3.2. Les principaux pionniers nord-américains
K. Eissler, psychanalyste américaine, a beaucoup travaillé, pendant la guerre, auprès d’enfants britanniques présentant des conduites antisociales. Il souligne, en 1949, l’importance de considérer le jeune qui commet des délits indépendamment de ses actes. Pour cet auteur, il est nécessaire de définir si l’on s’attache à l’individu ou à ses actes. Eissler s’est intéressé à la compréhension des motivations et des mécanismes conscients et inconscients en jeu, plus qu’aux actes. Une de ses contributions importante a été d’étudier le rapport de l’individu à sa propre agressivité. Le passage à l’acte vient s’inscrire selon lui comme une manifestation qui tente d’éviter le déplaisir.
Mailloux, psychanalyste québécois, a acquis une réputation internationale dans le domaine de la criminologie clinique. Vers les années 70, il a fait œuvre de pionnier, avec D. Szabo, pour intéresser le milieu universitaire québécois à la criminologie. Il s’est intéressé aux composantes psychologiques qui favorisent le développement du comportement délinquant chez les jeunes garçons. Il introduit la notion d’identité négative comme facteur de délinquance, provoqué par le rejet parental précoce. Il ajoute aussi que celle-ci serait consolidée par l’appartenance à un gang, à qui il s’identifie en partageant les mêmes valeurs, ambitions et intérêts.
4. Les concepts psychanalytiques explicatifs de la délinquance
4.1. La période adolescente : Activation de la problématique sexuelle
4.1.1. Crise du développement psycho-sexuel
Selon Freud, « avec le commencement de la puberté, apparaissent des transformations qui amèneront la vie sexuelle infantile à sa forme définitive et normale. »[1] Pour Marcelli, « l’adolescence est donc un moment de réorganisation psychique, débutant par la puberté, dominé par l’effet de celle-ci sur le psychisme, par des interrogations sur l’identité, sur la bisexualité, par une « bousculade » des identifications antérieures. »[2]
En effet, pour la plupart des auteurs, le point de départ de l’adolescence est la puberté. Mais le développement des organes génitaux, l’apparition d’érections avec éjaculation, la possibilité d’avoir des relations sexuels, et même de procréer ne sont pas sans avoir un impact fondamental dans le psychisme de l’adolescent : « L’avènement de la puberté, écrit Freud, inaugure les transformations qui doivent mener la vie sexuelle infantile à sa forme normale définitive »[3]: la croissance des organes génitaux, la fonction de reproduction et l’émission des « produits sexuels ». « Le nouveau but sexuel consiste chez l’homme à la décharge ces produits sexuels. »[4]
Seulement, toute la difficulté pour l’adolescent tient au fait que la maturation instrumentale sexuelle génitale ne correspond pas à la maturation psycho-affective, ce qui provoque très souvent, chez le jeune, un sentiment d’inadéquation et d’incomplétude : Tout adolescent a le sentiment de subir les transformations de son corps, tout autant qu’il doit faire face aux pulsions paradoxales qu’il ressent et qui lui sont très difficiles à supporter. Cette étape est donc violente pour l’adolescent, tant sur le plan physiologique que psychique : Ces modifications physiologiques sont si fortes et si brutales qu’elles peuvent être à la source de perturbation dans l’équilibre psychique de l’adolescent, d’autant qu’elles réactivent toute la problématique de l’angoisse infantile. Ces transformations physiologiques ont d’importantes répercussions sur l’image que l’adolescent se fait de lui-même : « les changements du corps entraînent la nécessité d’un changement de l’image du corps, ce qui ne va pas sans perturbations. »[5]
4.1.2. Crise sur le plan affectif
Haesevoets écrit : « L’adolescent est un sujet affectivement fragile et vulnérable au niveau de son identité et de son narcissisme. » Il explique qu’ «un événement douloureux ou traumatique vécu dans l’enfance peut prédisposer un individu, au moment de l’adolescence, à des troubles importants de la personnalité, (…), de l’identité ou de la conduite sexuelle. »[6]
Traversant, dans une période finalement très brève, une multitude de transformation d’une grande intensité, l’adolescent est en proie à des crises, ressurgissant de ses conflits non résolus, qu’il sera dans l’incapacité de pouvoir dépasser et qui submergeront ses affects, et ce, bien évidemment, d’autant plus si la construction de son identité fut mal amorcée, dans ses étapes de vie antérieure. L’imaginaire déborde, par réactivation des fantasmes oedipiens : L’inceste, interdit, mais désiré, est rendu possible par un corps qui s’érotise. L’amour trop intrusif produit alors un fort sentiment d’agressivité, mêlée à une grande culpabilité, qui « vient rompre ou freiner l’élan d’amour qui envahit la scène familiale. »[7] Les relations deviennent ambivalentes, partagées entre un amour excessif et un interdit qui ne l’autorise pas et le renfloue. Pour se sortir de cette situation inconfortable, l’adolescent doit alors trouver d’autres investissements, d’autres objets d’amour : il doit pouvoir désirer ailleurs que dans son environnement familial, et c’est pourquoi, il doit rompre les liens, d’une manière plus ou moins brutale.
4.1.3. Crise sur le plan relationnel
Le moment de l’adolescence est aussi un tournant sur le mode de relation que le jeune entretenait avec sa famille : les modes relationnels changent, les liens se distendent. On associe souvent cette période adolescente à la petite enfance et on parle d’une double perte : perte de l’objet primitif, avec une seconde phase de séparation-individuation et perte de l’objet oedipien, chargé d’amour, de haine et d’ambivalence, avec une remise en cause de l’imago parentale idéalisée.
L’une des tâches les plus importantes durant l’adolescence est ainsi de parvenir à se détacher de l’autorité parental et des objets infantiles, afin d’investir de nouvelles personnes. La réactivation du conflit oedipien, due à l’acquisition des pulsions génitales, perturbe le système relationnel de l’adolescent par rapport aux imagos parentales, support des identifications et de l’identité sexuelle: l’adolescent fait un travail de rapprochement, mais aussi d’éloignement, pour se construire son identité propre. Le rejet de ces imagos et le conflit d’identification s’inscrit dans une recherche identitaire.
4.2. Passage à l’acte : Réactivation des carences maternelles
4.2.1. Les fonctions de l’objet maternel
L’objet maternel, selon Winnicott, se prête à deux fonctions : celle de sécuriser, apaiser l’enfant en s’adaptant aux besoins de l’enfant de manière affective, et celle de recevoir les agressivités de l’enfant, quand elle ne satisfait pas ses attentes. Ce qui fera d’un évènement qu’il sera traumatique ou non, c’est que l’enfant puisse ou non faire accueillir et partager ses émotions et ses pensées, par ceux qui ont, à ses yeux, le pouvoir de les légitimer : si l’enfant ne rencontre personne auprès de qui exprimer, partager, légitimer les émotions agressives, il ne pourra plus les éprouver, ni les faire valoir en terme de communication, dans toutes les situations qu’il associera à cette première expérience traumatique, et pourtant, ces émotions feront irruption dans des situations ultérieures, mais de manière inadaptée. Selon D. Dumas et à juste titre, il nous semble, « le trauma de l’enfant se représente, dans les structures de l’inconscient, comme un événement qu’il n’a pas pu symboliser. Mais ce qui cause cette violence par laquelle le symbole s’absente n’est pas tant à chercher dans la pré maturation que dans l’Autre. L’Autre étant le lieu dont dépendent les introjections du sujet, l’événement est traumatique dans la mesure où il révèle, non pas l’immaturité de l’enfant, mais celle de l’adulte. »[8]
4.2.2. Un lien à l’objet maternel vécu comme angoissant
Au stade adolescent, la libido est appelée objectale puisque les tendances ont besoin d'un objet extérieur au corps, elle n'est donc plus narcissique et, par conséquent, elle va être dépendante de la qualité de la relation objectale c'est-à-dire qu'elle est dépendante du comportement affectif vis-à-vis de l'objet d'aimance et ce comportement est lié pour Freud à la résolution du Complexe d'Oedipe.
Pour Winnicott, comme pour un certain nombre de psychanalystes, le moyen de défense que représentent ces passages à l’acte semble réellement témoigner des carences qui renvoient à l’établissement des premiers liens. En effet, très souvent des enfants privés de soins maternels et de tendresse, ou qui ne peuvent pas ressentir la chaleur de la communion avec la mère, subissent des épreuves affectives, qui peuvent s’exprimer plus tard dans des réactions d’agressivité ou dans une soif immodérée de jouissance. Lorsque les passages à l’acte sont profondément enracinés dans les dysfonctionnements des premières interrelations fantasmatiques, le désarroi du jeune est souvent identique à ce qu’il a pu éprouver lors des défaillances de l’objet maternel. Selon Avanzini, les trois besoins essentiels de l’enfant, et de l’adolescent sont d’être aimé, sécurisé et valorisé. Il en résulte que les sujets qui ont été frustrés à cet égard peuvent ressentir un sentiment d’abandon et de dévalorisation, allant jusqu’à les pousser à réaliser des actes antisociaux.
Au lieu d’avoir un caractère rassurant et narcissisant, le lien à la mère serait ainsi vécu du côté de l’angoisse. Cette angoisse semble directement en lien avec la frustration affective et précède l’angoisse de dévalorisation : Mal aimé, l’enfant développerait des sentiments de culpabilité et une immaturité affective. Lors de la période adolescente, la résurgence de l’angoisse, d’autant si elle a été intensément vécue, nécessite des actions de décharge, parmi lesquelles l’agir : L’angoisse est un moment essentiel du passage à l’acte, et elle ne manque jamais. En ce sens, les passages à l’acte pourraient donc trouver un sens dans le besoin de libérer certaines angoisses particulièrement envahissantes et l’acte violent semble fonctionner comme un recours contre les angoisses infantiles.
4.2.3. Une image de soi dévalorisée
Le schéma corporel ou image du corps, fait partie de l’image qu’un sujet a de lui-même. Sa construction dépend des apports affectifs et pour que sa structuration soit équilibrée, « une bonne relation avec une mère sécurisée dans ses propres rapports avec son corps »[9] est nécessaire.
Pour Lacan, c’est au stade du miroir que s’organise l’expérience d’identification fondamentale, au cours de laquelle l’enfant effectue la conquête de son propre corps. Cette identification, primordiale à cette image, va être structurante pour l’identité du sujet. Cette conquête de l’identité est uniquement appréhendée par la dimension de l’imaginaire : c’est à partir d’une image virtuelle optique que l’enfant s’identifie en premier. Cette acquisition d’une image visuelle, d’une représentation du corps propre, en particulier grâce à l’image du miroir participe essentiellement au développement de la conscience de soi : les relations mère-enfant jouent un rôle crucial dans la formation de l’image de soi. Ce n’est que par le regard de l’autre que le moi ne peut prendre sa valeur de représentation imaginaire : « le moi est une construction imaginaire »[10], pour Lacan. Si l’enfant ne fait pas l’expérience d’un maternage consistant et ne reçoit pas l’amour nécessaire, il aura une image de lui dévalorisée et restera angoissé, ne se sentant pas en sécurité.
4.3. Passage à l’acte : Réactivation des troubles de la fonction paternelle
4.3.1. Complexe d’Œdipe
La fonction paternelle intervient symboliquement dans le Complexe d’Œdipe en tant que structure métaphorique. Pour Lacan, ce complexe comporte trois étapes. L’enfant est dès sa naissance pris dans le symbolique, dans les allées et venues de la mère qui la symbolise. Du désir de la mère dépend le désir de l’enfant : Il ne désire qu’une chose : être le désir de sa mère.
Mais un second temps sera marqué par l’intervention du père. Sur le plan imaginaire, il sera pour l’enfant le père tout puissant puisqu’il sera le privateur de la mère. Le père apparaît donc comme porteur de la loi. Le père vient mettre une limite entre la mère et l’enfant : il retire l’enfant de sa position d’assujettissement à la mère.
Enfin, dans un dernier temps, le père doit pouvoir faire la preuve de la validité de sa parole, à savoir qu’il a le phallus. Il doit « intervenir comme celui qui a le phallus».[11] L’enfant pourra donc s’identifier à ce père, intériorisé comme idéal du moi. C’est ce qui marquera le déclin du Complexe d’Œdipe.
4.3.2. Défaillance au niveau de la Loi du père, de la symbolisation
Le père, venant aider à la séparation d’avec la mère, est intégré par l’enfant comme le représentant de la loi. Afin de se rallier aux structures symboliques, l’ordre du langage doit être intégré, sous la forme d’un interdit. Le père, par sa fonction symbolique, signifiera à l’enfant que l’accomplissement de son désir est impossible. Accepter la loi, c’est accepter que tout ne soit pas possible, c’est accepter surtout la castration, c’est renoncer à une partie de ses désirs, pour investir son énergie pulsionnelle dans d’autres projets : « Il a été castré de ses pulsions meurtrières, de ses pulsions sadiques et de ses pulsions incestueuses qu’il a sublimées en accord avec les idéaux de sa famille et de son groupe. »[12] Ainsi, l’avènement symbolique suppose une rupture avec le registre de l’imaginaire : l’enfant doit parvenir à prendre conscience, grâce au père, de l’impossibilité à réaliser ses fantasmes et, par conséquent, à y renoncer. L’interdit posé va structurer l’enfant et son désir : il lui permettra de maîtriser ses pulsions et ses désirs. Les désirs prendront sens, l’enfant sera à même de réagir à sa propre activité pulsionnelle.
Mais chez les futurs adolescents délinquants, l’image du père est souvent barrée dans sa fonction paternelle, que ces pères soient présents ou non dans la réalité. Ainsi, l'intégration de la loi, notamment œdipienne, est impossible d'où le développement, sous des formes cliniques diverses, d'éléments traduisant une fixation pulsionnelle prégénitale. L'absence de triangulation mère-père-enfant engendre une incapacité de séparation psychique par rapport à la mère, et des difficultés pour renoncer à l'illusion de toute puissance infantile et s'adapter aux exigences de la réalité. Il n'y a donc pas de croissance psychique, mais maintien d'un fonctionnement archaïque correspondant aux premières années de la vie. L'élaboration ne parvient pas à être effectuée de sorte que la charge émotionnelle demeure intacte et étroitement associée à la représentation. Les traumatismes vécues s'intègrent finalement moins bien dans la mémoire intellectuelle et biographique que dans un niveau de mémoire lié davantage aux expériences sensorielles ou pulsionnelles et corporelles.
Au moment de l’adolescence, l'incapacité au niveau de la représentation des images parentales rend dangereux et chaotique le rapport à la pulsion. Il n'y a pas de rempart, rien à quoi il puisse se raccrocher. Se constituent alors, sous la chape du refoulement, des sortes de « bombes à retardement », sensibles à un signal extérieur quand il reproduit l'une des conditions de leur survenue et susceptibles alors, sous l'effet de la charge émotionnelle, de produire un passage à l'acte aussi important qu'un acte criminel.
4.3.3. Processus d’identification défaillant
Comme nous l’avons rappelé, à partir de la relation duelle initiale s’instaure la relation triangulaire, où l’enfant doit désormais se situer par rapport à ses deux parents. Il se détachera petit à petit de son premier objet d’amour, sa mère, par crainte des représailles paternelles, et pourra ainsi lui servir de modèle d’identification masculine. « L’identification est un processus psychologique par lequel un sujet assimile un aspect, une propriété, un attribut de l’autre et se transforme, totalement ou partiellement, sur le modèle de celui-ci. La personnalité se constitue et se différencie par une série d’identifications. »[13] « C’est en raison d’une identification du sujet à l’imago du parent du même sexe que le Surmoi et l’Idéal du Moi peuvent révéler à l’expérience des traits conformes aux particularités de cette imago. »[14] L’identification au père permettra à l’enfant de pouvoir accéder aux valeurs morales. L’enfant pourra trouver d’autres formes d’intérêt avec le processus de sublimation qui déplacera le désir vers un objet non sexuel.
Chez ces futurs adolescents délinquants, ces pères ne constituent pas un modèle identificatoire. Ils ne peuvent l'introduire dans une filiation, dans une culture, dans une société dont ils sont eux-mêmes écartés. La difficulté du processus identificatoire, l'absence de barrage par rapport à la mère et aux désirs incestueux engendrent l'incapacité de vivre l'Œdipe et, par là même, rend impossible une intégration positive des pulsions et la constitution d'une véritable identité.
II. Les differents modeles d’interventions d’influence psychanalytique aupres des jeunes delinquants
Parmi les modes de traitement les plus utilisés auxquels recours le clinicien en psychologie et en criminologie, la psychothérapie individuelle est peut-être la plus connue. Cependant, depuis de nombreuses années, les psychanalystes ont adapté diverses techniques afin d’intervenir auprès d’une diversité d’individus et notamment, des jeunes délinquants. C’est pourquoi plusieurs autres formes de traitement ont été développées afin de répondre à des buts variés et des besoins différents, dont la thérapie de groupe. Il fait en effet parti de la tâche du clinicien d’évaluer la pertinence de proposer l’une ou l’autre forme de traitement, en fonction des buts visés et des besoins présentés par le jeune. Consciente du fait que ces types d’interventions puissent être méconnus à un public non spécialisé dans la psychanalyse, je ferais une courte synthèse de chacune des psychothérapies, avant de présenter leur intérêt, dans les interventions auprès des jeunes délinquants.
1. La psychanalyse classique
La cure psychanalytique classique comporte déjà un cadre : un divan, et un analyste que le patient ne voit pas. Deux règles fondamentales structurent la situation analytique : L'association libre (le patient doit dire tout ce qui lui passe par la tête), la non-intervention (le patient ne doit pas bousculer sa vie suite à une séance mais laisser la psychanalyse se dérouler). Le patient formule d'abord un contenu manifeste et le psychanalyste décèle un contenu latent, l’inconscient. Le psychanalyste peut donc proposer une interprétation. Mais le moyen essentiel de la cure est que le patient développe un transfert envers l'analyste, réédition de relation infantile, que l'analyste interprétera. Simultanément l'analyste pourra constater en lui un contre-transfert, sa propre réaction au transfert du patient sur lui.
Cependant, dans un cadre carcéral, pour des raisons pratiques, il est pratiquement impossible d’effectuer une psychanalyse répondant aux critères habituels : usage du divan, nombre et régularité des séances, durée de la cure etc... De plus, la nature de la pathologie ainsi que les conditions ne s’y prêtent pas. C’est pourquoi la cure psychanalytique classique n’est pas utilisée, et est de plus en plus remplacée par des entretiens cliniques d’influence psychanalytique.
2. L’entretien clinique de type analytique
L'adolescent difficile se trouve confronté à un certain nombre d'éléments, source pour lui de souffrance qui se rattache à toutes les frustrations, à toutes les dépendances, à tous les renoncements, à toutes les agressions que son histoire personnelle risque de traîner dans son sillage. Même durant un entretien clinique, le langage du corps est un révélateur, voir un amplificateur de ses difficultés. S'il n'a pas la possibilité de mettre en mots ses difficultés et de les exprimer, il obligera l'adulte à écouter ses silences, à découvrir des signes, à comprendre des comportements ou à entendre des plaintes. L’expérience clinique de l’analyste l’amène à repenser, et tenter de traiter les carences affectives massives et les impasses identificatoires, qui sont, comme je l’ai présenté dans ma première partie, à l’origine d’un manque de structuration du surmoi. Accompagner un adolescent, c'est lui faire part du souci que l'on se fait pour lui, c'est le reconnaître dans sa souffrance, valider ses émotions et l'aider à formuler à sa manière une demande.
L’entretien clinique doit toutefois être précédé d’une évaluation psychologique : elle sera réalisée afin de déterminer s'il s'agit d'un comportement réactionnel, d'un état pré délinquant ou d'une psychopathologie naissante ou avérée. Cette évaluation, même si elle demande parfois du temps, est capitale car elle va déboucher sur une prise en charge la plus adaptée possible. Elle fera le point sur la situation familiale, sociale, scolaire, professionnelle et culturelle : des rencontres avec les parents seront aménagées de façon systématique afin de les associer à la démarche thérapeutique. Il s'agit de voir quelle collaboration est possible et comment ces derniers se mobilisent. Quand les parents flageolent, l'adolescent est encore plus déstabilisé. Il a besoin de tisser des relations personnalisées avec son père et avec sa mère, même s'ils sont éloignés. Chacun perçoit que les liens familiaux sont devenus fragiles et les nouvelles configurations familiales rendent également plus délicates l’expression nécessaire de l'autorité.
3. Psychodrame analytique individuel et de groupe
Le psychodrame analytique individuel, créé par MORENO, regroupe un psychanalyste meneur de jeu, un patient et plusieurs analystes co-thérapeutes. Le meneur de jeu ne participe pas aux scènes. Le psychodrame comprend plusieurs temps : Le temps de l'élaboration de la scène (discours entre le patient et le meneur de jeu), le temps du jeu (dans lequel prime la figuration y compris gestuelle, l'association libre, et qui se comprend souvent comme transitionnel) et enfin, le temps de l'interprétation (dans lequel le meneur de jeu renvoie au patient ce qu'il a mis dans la scène.)
Le psychodrame analytique propose à l’adolescent de jouer des scènes dont il a lui-même imaginé la trame, dans un lieu qui lui permettra de ne pas restreindre son activité corporelle, mais qui ne sera pas trop vaste, afin de lui proposer un cadre contenant. S’il est tant utilisé auprès des adolescents, particulièrement les adolescents délinquants, c’est qu’il autorise la participation active des thérapeutes et une réponse rapide, ce qui correspond aux besoins du jeune. Mais le premier aspect est celui de la mise en acte. Ces jeunes, qui parlent par l’agir, à défaut de pouvoir symboliser leurs souffrances par la parole, parviennent ainsi plus facilement, par l’expression corporelle, à mettre en acte des contenus inconscients, à transformer leurs éprouvés en pensées et leurs actions en représentations.
Le psychodrame analytique de groupe se fonde sur les mêmes principes que le psychodrame individuel. Il y a « couple thérapeutique », c'est-à-dire un thérapeute homme et un thérapeute femme, et les patients eux mêmes se font co-thérapeutes. Il y a, éventuellement, un observateur, spectateur hors des enjeux de la scène. Les phénomènes de groupes sont alors particulièrement pertinents (par opposition au psychodrame analytique individuel, dans lequel les phénomènes de groupes sont finalement restreints aux co-thérapeutes).
4. Psychanalyse de groupe
Les deux règles fondamentales de non–omission et d’abstinence sont valables pour le groupe. Les adolescents énoncent en séance les échanges qu’ils ont eus à propos du groupe en dehors des réunions. De son côté, l’animateur interprétant garantit le respect des consignes et permet « au transfert de se développer sur lui et sur le groupe ». Il communique « à tous ce qu’il a compris. »
Contrairement à une psychanalyse individuelle, les inconscients des différents membres du groupe sont en interaction : « à tout effet inconscient tendant à se manifester dans un champ quelconque correspond une résistance s’opposant à cette manifestation ». Le groupe aide l’adolescent à se détacher de ses conflits familiaux au cours du processus d’individuation et permet une socialisation par les pairs. Inscrit dans un groupe, l’adolescent peut y déposer ses conflits intra psychiques, questionner ses investissements sexuels, accéder à un sentiment d’identité, tant individuel que collectif, le plus souvent parvenir à un remaniement de l’idéal du moi.
5. Psychothérapie familiale d’influence psychanalytique
J’ai évoqué plus haut l’importance que jouait la famille dans la problématique délinquante. C’est pourquoi la psychothérapie familiale semble bien appropriée. Dans cette tranche d’âge, il est donc naturel d’imaginer l’importance d’une intervention familiale. Les entretiens familiaux réguliers permettent de déceler les différents types de communications interpersonnelles qui structurent les relations intrafamiliales, ainsi que.d’aider la famille à évoluer en même temps que l’agresseur sexuel dans le processus de réparation et de réinsertion.
Pour les mineurs, cela fait partie intégrante du travail de séparation-autonomisation par rapport à la famille et à l’enfance plus généralement. Mais, la remise en question n’est pas facile et cela demande une motivation et un niveau de compréhension suffisant.
6. Les limites des psychothérapies psychanalytiques
6.1. La résistance des adolescents délinquants
Cependant, je reste parfaitement consciente des limites des méthodes psychanalytiques. En effet, la nature même des conflits psychiques du mineur délinquant le place dans une attitude très défensive, accentuée par le contexte d’intervention de la prise en charge thérapeutique. Celui-ci parvient difficilement à accepter l’aide qui lui est proposée par l’intervenant, et prend généralement cette intervention comme une agression à son intégrité et une attaque intrusive qui vient lui faire violence. En effet, ces types d’interventions sont imposés au mineur délinquant, suite à un délit qu’il a commis et pour lequel il est jugé coupable, ce qui l’empêche véritablement de se positionner dans une démarche d’aide volontaire. Or, ce type de thérapie ne peut en aucun cas s’imposer. Faire émerger la demande, chez l’adolescent délinquant, c’est faire naître en lui le désir d’entreprendre un travail psychothérapique. Le travail du psychanalyste consiste donc à faire aboutir une demande " vraie " en ce sens qu’elle s’étaye sur un désir profond du jeune. La psychothérapie psychanalytique ne représente un “ soin ” que dans le cas où le sujet demande ou accepte d’être accompagné dans sa recherche volontaire et consciente des raisons profondes qui l’ont amené à être un délinquant. C’est ici que le travail psychothérapeutique proposé aux adolescents délinquants a toute son importance car il s’agit pour le thérapeute de faire apparaître dans cet autre étranger le familier que le sujet ne pouvait entrevoir. La psychanalyse permet d’ouvrir cet espace Autre en articulant les coordonnées fantasmatiques des sujets au réel de leur acte. L’objectif du travail thérapeutique est donc de permettre aux sujets de ne pas se déresponsabiliser de leur acte et de se réapproprier cette figure angoissante d’eux-mêmes. La difficulté majeure pour travailler avec les adolescents délinquants est de faire émerger cette demande, qui ne semble pas s’enraciner dans un véritable désir de comprendre ce qui les a poussé à s’enliser dans de tels actes. Il arrive donc, malheureusement, que la démarche soit finalement laborieuse et que l’intervenant ne parvienne pas à faire émerger cette demande. Par conséquent, le jeune ne s’investira pas dans ce travail de remise en cause et ne pourra tirer aucun bénéfice de la prise en charge psychologique proposée.
6.2. Les limites du temps
Une seconde difficulté, pour l’intervenant, est celle de la durée de la prise en charge. En effet, l’approche psychanalytique repose sur certains principes, particulièrement celui de l’exclusion du facteur temps. Dans un véritable travail psychanalytique, la prise en charge n’est pas limitée dans sa durée : d’hors et déjà, le début du travail en profondeur peut être très long à se mettre en place, pour que les choses bougent et évoluent. Toute la reconstruction psychique, qui est nécessaire pour provoquer des changements durables et solides chez le jeune, sollicite un long travail, qui ne peut être défini a priori. Or, dans le contexte d’intervention auprès de jeunes délinquants, la durée de la prise en charge est limitée et imposée par le cadre judiciaire. Ainsi, dans une majorité des cas, ce n’est pas tant la pertinence de la prise en charge qui fait échouer la thérapie, mais la limite du travail, qui demanderait de se faire sur le long terme.
6.3. La difficulté à évaluer la validité de ces techniques d’un point de vue quantitatif
L’application de la théorie psychanalytique au traitement des adolescents délinquants est encore récente. Ainsi, il est impossible de fournir des données sérieuses et quantifiées de résultats. Pourtant, à l’écoute des praticiens, malgré les difficultés évoquées plus haut, nul doute que cette technique soit capable de mobiliser l’organisation psychique des patients.
Mais rappelons la raison principale à l’absence d’études quantitatives… La plupart des auteurs psychanalytiques expriment des positions critiques au sujet des typologies de délinquants. Pourtant, il est parfois utile de comparer un individu à un groupe afin d’évaluer en quoi il ressemble ou se distingue d’une norme. De cette manière, cela peut permettre de mieux cibler un échantillon et ainsi poursuivre des buts de recherche mieux définis. Or, en ce qui concerne le fonctionnement psychique de l’individu, le fondement même en est son caractère unique. Puisque les typologies et les études quantitatives visent à cerner des caractéristiques de personnalités communes, elles ne sont d’aucune utilité clinique, et aurait tendance à masquer les différences individuelles en mettant en lumière ce qui est commun. Elles se trouvent donc nécessairement simplificatrices de la complexité de l’être humain..
Ainsi, rien n’atteste de la validité des résultats et de l’intérêt des méthodes psychanalytiques dans le champ de la délinquance. En effet, étant donné que, par essence, la méthode psychanalytique se base sur la notion de singularité de l’individu, dont elle tentera de comprendre la dimension psychique, celle-ci se défend non seulement de catégoriser un groupe d’individu, mais aussi de quantifier les résultats obtenus. Celle-ci se basant sur des éléments fondamentalement qualitatifs, il lui est finalement impossible de pouvoir donner des résultats clairs et concrets, ce qui ne facilite pas son intégration dans les programmes proposés dans les institutions spécialisées dans le traitement de la délinquance.
6.4. La nécessité de ne pas utiliser ces méthodes comme uniques interventions
Afin de mettre en place, concrètement, des conditions qui favorisent une reconnaissance et un engagement de la responsabilité de ces jeunes en difficulté et permettent leur réinscription sociale, il est nécessaire qu’après le jugement, et pendant la durée de la peine, soit proposé, en plus des psychothérapies psychanalytiques, un certain nombre d'aménagements, avec pour objectif que cette peine ait valeur de réhabilitation et constitue une préparation à une autre vie : une réforme des conditions de détention, avec notamment une plus grande ouverture vers l'extérieur, à travers des échanges avec l'Education nationale, la Jeunesse et les Sports, le monde du travail, les associations culturelles, sportives, etc., une continuité qui permette la mise en place de projets et leur réalisation (moins de transferts) pendant l'incarcération, mais aussi après la sortie, un tutorat permanent auprès de chaque mineur, lui offrant ainsi une personne référente unique à laquelle il pourrait avoir recours quels que soient ses lieux de détention successifs, la préparation d'une réhabilitation ayant in fine valeur d'acquittement signifié par les magistrats, la restitution des droits civils et civiques à l'issue de la peine. En effet, dans le cas des adolescents, la psychothérapie psychanalytique ne saurait être utilisée de façon exclusive. Il est impératif que des rencontres soient également réalisées avec les travailleurs sociaux, éducateurs, lors de réunions ponctuelles ou programmées avec les équipes. Cette articulation des réseaux permet d'évoluer vers une complémentarité structurante et une bonne identification stratégique qui répondent mieux aux attentes des uns et des autres. Ceci permet un enrichissement mutuel et facilite des rencontres et des réflexions théoriques utiles pour mieux percevoir et interpréter les demandes des adolescents difficiles, ceci dans un climat de clarté et de cohérence, avec réévaluation périodique de ce qui est fait.
III. Confrontation entre la Psychanalyse et les principaux modeles d’interventions aupres du jeune delinquant
La psychanalyse, dans le champ des modèles d’interventions, peut également avoir l’appellation d’orientation psycho-dynamique. Chacun de ces modèles, de ces orientations repose sur des prémisses philosophiques de base qui déterminent ce qui lui paraît important au plan du cheminement humain. C'est suite à ces prémisses que chacune à développé par la suite ses méthodes permettant d'atteindre les objectifs privilégiés. Pourtant, une réalité les rassemblent tous : Bien que chaque orientation a une conception propre du jeune délinquant, elles se réfèrent toutes de manière indirecte, à des notions psychanalytiques. Je confronterais par conséquent la psychanalyse avec trois approches : l’orientation cognitivo-comportementale, où l'on croit que les difficultés psychologiques sont liés à des comportements inadéquats appris par une personne dans son environnement quotidien, l’orientation systémique, dont les théoriciens défendent que les principaux problèmes humains surgissent à cause du genre d'interactions entre une personne et son entourage, et l’orientation humaniste, qui est basée sur la capacité de l'être humain à diriger son existence et à se réaliser pleinement.
1. Les conceptions cognitivo-comportementales :
Je ne ferais pas une description complète des thérapies cognitivo-comportementales (TCC), car elles sont connues de tous, celles-ci faisant parties des méthodes d’interventions les plus utilisées auprès des mineurs délinquants. Cette théorie, issue de la théorie béhavioriste, se situe dans le prolongement de la théorie du comportement basée sur les travaux de Skinner. La théorie cognitivo-comportementale constitue un grand enrichissement puisqu’elle prend en compte l’importance des pensées et des cognitions dans l’explication du comportement humain. Selon cette théorie, les symptômes psychopathologiques résultent de pensées ou cognitions erronées. Le but fixé est donc de modifier les cognitions jugées inadéquates.
Cependant, bien que les TCC travaillent avec des schémas cognitifs qui donnent du sens aux émotions et aux comportements, que les intervenants tentent d'assouplir ou de modifier, l'inconscient est directement ciblé, bien que le cadre ne soit pas celui de la psychanalyse. Les pensées ou les comportements inadéquats appris ou adoptés malgré soi, qui peuvent s'apparenter à des réactions « incontrôlables » et qui surgissent automatiquement en certaines circonstances, sont directement liés à des difficultés psychologiques. Ainsi, c’est l’expérience d’une carence relationnelle avec la mère qui donnerait lieu, du point de vue cognitif, à « une difficulté à se représenter le déroulement d’actions passées et présentes ainsi qu’à anticiper les actions futures. » (Lemey, 1979) Selon cet auteur, plusieurs caractéristiques relatifs au faible contrôle de soi seraient compatibles avec cette difficulté de s’inscrire personnellement dans une suite d’évènements. L’impulsivité, l’incapacité de réflexion, le manque de persévérance, la prédominance du présent et la difficulté à prévoir l’avenir sont autant de traits typiques d’une faible emprise sur le temps. Ces caractéristiques, sur lesquelles se penchent tout particulièrement les thérapies cognitivo-comportementales, trouvent donc leurs bases explicatives dans la psychanalyse. En effet, la tendance antisociale, liée à la délinquance, serait donc assimilable à une forme d’impuissance acquise à l’égard de la maîtrise temporelle, notamment en ce qui concerne le cantonnement du jeune dans le présent immédiat. Malgré leur centration comportementale, ces thérapies cherchent à agir sur le fonctionnement intrapsychique du jeune carencé émotionnel (développer des réactions adaptées, inhiber leur colère et contrôler leur impulsivité et leur sensibilité immédiate), afin de le stimuler ou le freiner par le contexte dans lequel il évolue. Les composantes contextuelles, surtout chez le délinquant mineur, ont une forte incidence sur les probabilités d’occurrence de l’agir. S’il doit y avoir une intervention contre les risques de conduites extrêmes chez ces jeunes, celle-ci doit bien évidemment porter sur les contextes de vie et sur l’encadrement que ces contextes offrent aux jeunes (la famille, l’école, la communauté). Cependant, il est impératif que l’intervention vise la personne elle-même, dans sa subjectivité, pour l’aider à sortir de son présent et à se projeter dans un futur qui lui convienne. Ce n’est qu’un travail de fond qui parviendra à cet objectif de reconstruction psychique.
2. Les conceptions systémiques
Les nombreuses recherches effectuées sur les antécédents des délinquants tendent toutes à désigner la famille comme berceau de la déviance : les enfants antisociaux sont issus de famille où la discipline est dure et incohérente, où les parents sont peu engagés des enfants et n’exercent presque aucune supervision des activités de ces derniers. Les relations aversives constituent une part importante des interactions sociales de ces familles. L’enfant apprend à les utiliser pour survivre et avoir de l’ascendant sur les autres membres de la famille. Il en résulte une escalade de l’agressivité, tant verbale que physique. Les programmes de traitement des parents, consistant à intervenir plus ou moins intensivement auprès des familles de mineurs délinquants, cherchent à mobiliser la famille en fixant des buts atteignables, afin d’améliorer les relations du jeune et de ses parents, de développer les aptitudes des parents et de les responsabiliser dans leur rôle parental. La famille du délinquant est souvent vue comme « la famille à transactions délictogènes » (G. Auloos,1979), comme une famille où règne entre les parents un conflit qui se traduit par des modes pathologiques de communication que fuira l’adolescent.
Là encore, ces conceptions ne peuvent que faire écho aux conceptions psychanalytiques : C'est la conjonction de deux figures parentales défaillantes dans leur rôle de soutien et de protection qui semble être la source des difficultés de ces jeunes. La problématique serait donc prégénitale. Pour qu’un jeune devienne moral, il faut donc qu’il ait rencontré des normes dans le milieu familial et qu’il ait connu suffisamment d’amour parental pour accepter de renoncer à la satisfaction immédiate. Cette mise en évidence n’a pas pour objectif de remettre en cause la valeur des thérapies systémiques. Il est important de travailler en collaboration avec les parents, puisqu’ils représentent le contexte de vie de ces jeunes. Seulement, ces interventions, qui ne fonctionnent pas avec toutes les problématiques familiales, ne sont pas suffisantes pour garantir une intégration des règles sociales de mineurs délinquants. D’ailleurs, les résultats montrent bien que la plupart du temps, les changements ne durent pas, à partir du moment où les traitements s’achèvent et ceci est parfaitement compréhensible. En effet, là encore, les programmes n’offrent pas un suivi de fond, mais une modification comportementale basée sur l’immédiat. Or, notre attention particulière devrait se porter sur la place et le rôle précoce du père dans sa fonction d'autorité et de détenteur de la loi, dans son aptitude à la dire et dans celle de la mère, si le père est absent, à la transmettre. Si nous ne prenons pas en considération le fait que ces représentations psychiques, profondément encrées dans l’appareil psychique du jeune, doivent être modifiées, par un travail analytique, nous ne pourrons pas espérer obtenir de résultats qui « tiennent », véritablement, dans le long terme.
3. Les conceptions humanistes
Cette approche est centrée sur le développement de la personne. Le psychothérapeute facilite l'exploration de soi engagée par la personne et l'expérimentation de nouvelles façons d'être et d'agir. En auto-développement, en particulier, on accorde beaucoup d'importance à développer les habiletés du jeune délinquant à utiliser son processus de croissance. Soit la capacité qui permet de transformer un problème à un retour à l'équilibre. Face à chacun des problèmes psychologiques du mineur délinquant, il est possible de retrouver l'équilibre s’il consent à franchir toutes les étapes qui mènent à une solution, même si cela peut être très complexe. Ce type de psychothérapie permet à l’adolescent la capacité de gérer sa vie de façon fort efficace, de se développer pleinement et de faire les choix qui lui conviennent vraiment afin d'atteindre un niveau de liberté et de bien-être appréciable. Ce genre de psychothérapie mise donc sur la capacité de développement de l’individu, dans son entier.
A mi-chemin entre développement personnel et philosophie, « c'est une approche qui prend en compte tous les aspects de l'être physique, affectif, rationnel, social et spirituel, ce qui permet à chacun de se sentir responsable de sa vie », explique S Ginger, l'un des précurseurs en France de cette méthode. L'accent est mis sur la capacité de la personne à prendre conscience de ses difficultés et de ses ressources et de modifier en profondeur sa façon d' être et d'agir.
Fortement influencée par la psychanalyse, cette approche fait appel à la notion d'inconscient et focalisent ses efforts sur la recherche des liens entre les difficultés actuelles et les expériences passées, dont les conflits refoulés et non résolus. On vise des changements profonds et durables chez le patient, tout en l’apaisant sur du court terme. Ainsi, même si cette thérapie humaniste s'intéresse à l'inconscient, aux lapsus, aux actes manqués, elle s'exerce toujours dans l'ici et le maintenant. Il ne s'agit pas de replonger dans les traumatismes passés, mais de percevoir leurs conséquences aujourd'hui, afin de mieux vivre avec et de s’adapter à son environnement.
4. Exemple d’une psychothérapie expliquée à la lumière de la psychanalyse : l’art- thérapie au centre des jeunes détenus de Fleury Merogis
4.1. Le contexte d’intervention
Depuis plusieurs années maintenant, des professionnels, rattachés à l’équipe du service médico-psychologique, proposent une prise en charge spécifique auprès d’adolescents de 13 à 16 ans, dans le quartier spécial des plus jeunes détenus. Concernant le type de passage à l’acte qui a motivé l’incarcération, la large majorité des jeunes ont commis des viols avec une distinction qui apparaît d’emblée : viol individuel et viol collectif. Il y a parfois également des adolescents ayant commis des vols avec violences et parfois des meurtres. Ainsi, nous ne spécifierons pas cette étude à la seule intention des jeunes agresseurs sexuels. La détention préventive dure en moyenne de trois à six mois, ce qui pose d’emblée, sur le plan du cadre thérapeutique, la limitation du temps de l’action, et la contrainte à introduire parfois dès le premier entretien, la notion de séparation.
4.2. L’art- thérapie
L’art-thérapie est une proposition de se confronter à un espace pictural, afin que cette pratique de l’inscription puisse permettre une élaboration psychique. L’objet externe est vu ici comme un support nécessaire à un travail sur le vécu interne, la ou la tension est trop aiguë et ou l’adolescent n’a plus d’autre issue d’expression que le recours à l’agir. L’espace thérapeutique se concrétise par un bureau, ou va se produire la rencontre thérapeute-jeune détenu, ainsi que par un atelier d’expression picturale. Un dispositif thérapeutique spécifique qui associe entretien individuel et séance d’expression picturale en groupe est proposé en alternance. La première rencontre a toujours lieu sous la forme d’un entretien clinique individuel, ou le psychologue aide l’adolescent à formuler quelque chose de sa souffrance et à nommer les traumatismes subis au cours d’un itinéraire souvent chaotique et discontinu.
4.3. L’extériorisation du vécu pulsionnel
La dynamique des deux espaces alternés, verbal-individuel et non verbal-groupal, semble favoriser l’extériorisation du vécu psychique de l’adolescent. Cela a pour but de favoriser la figuration et l’élaboration des affects et des pulsions restées informulables chez des jeunes en proie à la problématique identitaire adolescente et ayant recours à l’agir comme mode d’expression pulsionnelle privilégiée.
Par rapport à l’irreprésentable, le vide ou le trop plein pulsionnels, par rapport à un narcissisme défaillant ne pouvant être garant du sentiment de continuité de soi, la liaison et la continuité existant entre entretiens psychologiques et séance d’expression picturale en groupe peuvent jouer comme contenant, lieu possible de métabolisation et de représentation des pulsions et affects, ainsi que comme cadre permettant l’amorce de la restauration d’une continuité narcissique.
4.4. Travail sur les représentations
« Retrouver le chemin des mots, le chemin identitaire, c’est ce que nous-mêmes nous tentons de faire en proposant, dans le contexte carcéral à de très jeunes adolescents, une prise en charge psychologique, voire thérapeutique, spécifique et en intégrant dans notre approche la dimension art- thérapie. » (C. Legendre, 1997).
Le langage verbal, comme je l’ai évoqué lors de ma première partie, est fréquemment sous-investi, comme si ces adolescents n’avaient pas appris à utiliser les mots les mots leur permettant d’exprimer leurs émotions, leurs affects les plus profonds, leur souffrance interne et rendant possible l’élaboration des traumatismes subis, sources de violence et d’extraction en eux, qui vont se répéter et se traduire dans la réalité de l’acte.
Dans le travail sur les représentations et la mise en mots des éprouvés avec ces adolescents en souffrance, apparaît l’importance d’un espace intermédiaire de mise en forme non verbale. C’est là qu’intervient la notion d’acte pictural, de l’outil thérapeutique qu’il peut représenter en articulation avec le cadre thérapeutique.
L’atelier d’art-thérapie va fonctionner comme un espace d’ouverture par rapport à l’espace clos de la prison et la feuille de dessin comme un lieu, une surface, ou le déploiement et la projection d’un espace psychique sont virtuellement possibles. L’acte pictural peut permettre la figuration puis la mise en mots d’éprouvés sensoriels élémentaires et la contention de l’explosivité. L’éprouvé brutal de ce que le sujet ressent peut être représenté et l’acte désamorcé.
Il s’agit d’aider ces jeunes sujets à transformer la tension interne à l’origine du passage à l’acte en tension créative, à faire face aux grandes quantités d’énergie pulsionnelle qui devront se transformer en petites quantités d’énergie pour permettre l’instauration de la pensée. Face au passage à l’acte, l’acte pictural peut permettre et favoriser la figuration de l’énergie pulsionnelle et l’élaboration d’une problématique interne. « Le support externe que représente la production picturale en tant que contenu et contenant imagé, semble indispensable pour travailler sur le vécu interne quand l’excitation, la tension, la violence d’une fantasmatique sont menaçantes pour l’unité du moi, quand le déferlement pulsionnel l’emporte sur le frêle édifice narcissique. » (C. Legendre, 1997).
En effet, l’organisation incomplète du moi de ces sujets ne permet pas d’intégrer l’énergie pulsionnelle à des fins constructives. Le support externe est nécessaire pour l’expression des processus internes sans le recours à l’agir. Une mise en représentation de la violence fondamentale, d’un imaginaire non représentable ou clivé est parfois possible. Il y a parfois l’ouverture d’un accès au fonctionnement le plus archaïque, responsable de la répétition du passage à l’acte. La construction de représentations externes peut amener ces jeunes sur la voie de la construction de représentations internes et favoriser l’émergence et la constitution d’un espace psychique.
4.5. Le besoin de contenants
Face au débordement pulsionnel et à la tension interne qui débordent souvent une organisation narcissique fragilisée et qui s’actualisent dans l’agir, l’art-thérapie propose un double contenant, celui de la feuille blanche ou puisse se figurer un vécu de type pulsionnel autrement que sous la forme d’un passage à l’acte et celui du groupe à qui est proposé un fonctionnement spontané et créatif, mais aussi structuré au sein de limites spatio-temporelles définies, dans un cadre déterminé.
Cet espace d’expression, ou une vie fantasmatique peut se déployer sans se vider en agirs incessants et destructeurs est donc couplé à des entretiens individuels au cours desquels l’adolescent est invité à une réflexion plus personnelle. C’est aussi le dessin produit qui peut servir de support à l’entretien et à la verbalisation. Cela implique donc un pas vers la symbolisation, ou le verbal vient donner un écart, une temporalité face à l’immédiateté du passage à l’acte. La mise en tension vers les mots permettra de mettre en œuvre une véritable distanciation symbolique.
4.6. La restauration narcissique
Il est nécessaire de doubler la pare-excitation externe représenté par la prison, institution indestructible, d’un cadre thérapeutique solide contribuant à renforcer le pare excitation interne plus que fragile de ces jeunes aux assises narcissiques extrêmement précaires. La vulnérabilité psychique, liée à la fois à leur jeune age et à la problématique adolescente en pleine action, est accrue chez les jeunes délinquants.
L’atelier en lui-même est un lieu de création, de réparation et de reconnaissance de l’œuvre comme sienne, ce qui a toute son importance du point de vue de la restauration narcissique.
CONCLUSION
Ainsi, la psychanalyse semble avoir largement sa place dans la compréhension et l'intervention du phénomène délinquant. Les concepts, en effet, ne sont pas sans nous éclairer face aux problématiques internes de ces jeunes. Bien qu’ils puissent témoigner d'un fonctionnement intellectuel, affectif et social bien adapté à la réalité extérieure, ils nous témoignent d’une réalité psychique problématique. Les traumas relationnels de l’enfance, notamment les expériences de rejet, favorisent la recherche chez le délinquant de puissance et de contrôle dans ses relations interpersonnelles. Le rôle joué par l’environnement familial, dans le développement des déficits du Moi dont souffre le futur délinquant et qui contribuent à son recours à l’agir comme moyen de se défendre de ses angoisses a été mis en avant. Ainsi, nous ne pouvons ignorer l’intérêt de la psychanalyse dans le traitement de la délinquance.
Cependant, les nombreuses difficultés auxquelles les professionnels sont confrontés ne peuvent nous empêcher de remettre en cause l’application des psychothérapies psychanalytiques dans le cadre d’interventions judiciaires. En effet, il semble que celles-ci ne soient pas toujours applicables aux adolescents. Comme toute thérapie, l’essentiel est de proposer une intervention qui soit adaptée à chacun des besoins de l’adolescent. En ce sens, l’approche humaniste me semble être un compromis parfait, entre une approche cognitivo-comportementale ou systémique, certes, basés sur les besoins immédiats des jeunes et de la famille, mais qui ne se veulent pas axés sur du long terme, et une approche psychanalytique, efficace, quant à elle, sur le long terme, mais qui nécessiterait un mieux être immédiat. Ce sont ses concepts qui sont mis à profit et qui viennent éclairer et inspirer les traitements mis en place. C’est là, en effet, selon moi, que la psychanalyse montre tout son intérêt et qu’elle est indispensable dans le champs de l’adolescence délinquante.
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[1] FREUD, S. – « Pour introduire le narcissisme », in La vie sexuelle, Paris, Ed. PUF, 1982, p.160
[2] MARCELLI, D., BRACONNIER, A. – Adolescence et psychopathologie- Paris, Ed. Masson, 1995, p.50
[3] FREUD, S. – « L’inconscient », in Métapsychologie, Paris, Ed. Gallimard, 1968, p.143
[4] id, p.144
[5] MALE, P. - De l’enfant à l’adulte – Paris, Ed. Payot, 1984, p.560
[6] id, p.468
[7]HAESEVOETS, J.H.- Les adolescents agresseurs sexuels- La psychiatrie de l’enfant, 2001, n°2, vol. XLIV, p.457
[8] id, p.166
[9] MALE, P. - De l’enfant à l’adulte – Paris, Ed. Payot, 1984, p.559
[10] LACAN, J. –Le séminaire Livre II, Paris, Ed. du Seuil, 1978, p.284
[11] id, p. 194
[12] KAMMERER, P. – Adolescents dans la violence- Paris, Ed. Gallimard, 2000, p.184
[13] LAPLANCHE, J. et PONTALIS, J.B. –Vocabulaire de la psychanalyse, Paris, Ed. PUF, 1988, p.187
[14] LACAN, J. – Les complexes familiaux -, Paris, Ed. du seuil, 1984, p.62
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