1. Références théoriques et empiriques…
Le modèle psychoéducatif est une approche humaniste, vivement inspiré de théories issues de la psychologie, plus précisément celles d’Erikson (1963), et de son concept de stade du développement de l’identité en lien avec la relation de l’individu à son milieu. Il est aussi inspiré des théories cognitivistes, tel que la théorie interactionniste et constructiviste de Piaget (1956), incluant les notions d’assimilation et d’accommodation, et de stades du développement de l’intelligence. Il repose tout particulièrement sur deux références :
- Celles de l’être humain, en tant qu’individu en constante évolution et spécifiquement en difficulté, et en déséquilibre, sur le plan physique, psycho-affectif, social, cognitif et moral, expliquant ainsi sa mésadaptation sociale.
- Celles de l’interaction entre l’être humain en difficulté et son environnement, plus particulièrement l’intervenant.
C’est de ces notions qu’est directement inspirée la théorie de rééducation de Guindon (1969), puis approfondit par Grégoire dix ans plus tard, en la conceptualisant comme une restructuration du Moi, par l’actualisation des forces individuelles. Enfin, Gendreau (1978) introduit la notion de milieu de vie comme un ensemble structural dynamique de dix composantes essentielles interreliées et propose une organisation qui en définit les principaux aspects.
2. Références légales, sociales ou politiques…
Le modèle psychoéducatif québécois a été élaboré à partir des années 1960, par des éducateurs de divers centres de réadaptation et de protection pour les jeunes en difficulté, notamment celui de Boscoville, aujourd’hui encore une référence pour le développement de ce modèle. C’est dans les années 70 qu’il était à son essor et appliqué de manière pure, dans les unités de vie. Ainsi, le modèle psychoéducatif est apparu dans un contexte de désinstitutionnalisation des adolescents en difficulté, et de requestionnements des pratiques éducatives.
3. Cadre et contexte de prédilection…
Dans le modèle psychoéducatif québécois de Gendreau, il s’agit d’un cadre légal, et particulièrement en centre de protection ou de réadaptation. Il s’agit donc de répondre au mandat, soit de la Loi sur la Protection de la Jeunesse, soit de celle sur le Système de Justice Pour Adolescents, anciennement la Loi pour les Jeunes Contrevenants. C’est donc dans un contexte institutionnel d’approche de milieu, généralisée à de nombreux milieux d’intervention, que le modèle psychoéducatif est utilisé. Ainsi, dans un tel contexte, le travail d‘équipe est au cœur, puisqu’il ne s’agit pas du suivi ponctuel d’un jeune, mais bien d’un suivi « intensif », au sein d’une unité de vie qui peut répondre à ses besoins, dans un contexte de groupe, pendant un délai, définit par l’ordonnance du juge.
4. Modalité des interactions…
Le cadre théorique même met un bras d’honneur sur les interactions, qui sont au cœur de l’intervention. Elles sont majoritairement en groupe, étant donné qu’il s’agit d’un milieu de vie où se développent les jeunes en difficultés. Dans ce milieu d’intervention, « le groupe doit servir à l’évolution des individus » (Gendreau, 2001): il est un moyen d’aider le jeune à se réadapter dans un univers social. Un volet individuel est également consacré aux jeunes, pour répondre au souci de l’individualisation du suivi, notamment en ce qui concerne les activités (scolaires, artistiques, sportives etc.) et les rencontres.
C’est aussi avec tous les partenaires sociaux que les intervenants sont en relation, afin de rendre le suivi le plus cohérant possible et de mettre toutes les chances du coté du jeune, soit les professeurs, les éducateurs, les parents etc.
5. Définition des objectifs poursuivis et de l’alliance thérapeutique…
Il y a, dans l’approche psychoéducative, deux niveaux d’objectifs, tel que l’explique Gendreau : Il y a d’abord les objectifs généraux, qui sont ceux qui correspondent au mandat de l’établissement, et, par extension, de la société. Dans ce milieu de vie, l’une des attentions des intervenants est particulièrement l’alliance thérapeutique, puisque créer une relation positive entre eux et les jeunes est fondamentale, dans ce contexte de « vécu partagé ».
Les objectifs spécifiques, quant à eux, sont utilisés en fonction des objectifs généraux, et adaptés au contexte et au cadre de l’unité. Ils sont donc définis, « en lien avec les composantes du milieu ». Ils sont des étapes, non déterminées dans le temps et souples, qui permettent d’atteindre progressivement les objectifs généraux, dans le temps déterminé par la loi (exemple : l’ordonnance du juge.) Les critères principaux sont leur caractère observable, mesurable, réaliste, concret et limité. Il faut avoir une attention toute particulière sur les forces, les faiblesses et les différents besoins du jeune, pour parvenir à permettre au jeune de retrouver un certain équilibre, dans ses sphères développementales et sociales.
Ces objectifs spécifiques sont mis en place avec la collaboration du jeune, des autres professionnels et, si possible, des parents. De façon à le rendre le plus acteur possible, l’intervenant essaye au maximum de faire en sorte que ce soit lui qui découvre et spécifie ses objectifs.
6. Grille d’analyse/explication des problèmes cibles…
Selon l’approche humaniste de Gendreau, « toute conduite humaine étant globale » et « déterminée par une foule de facteurs » (Gendreau, 2001). Ainsi, dans ce contexte de réadaptation et de protection, les problèmes ciblés sont définis en terme de besoins, qui ne sont pas comblés adéquatement. Ainsi, le fonctionnement interne et externe de l’individu serait en déséquilibre, soit au niveau de lui-même et de son environnement.
7. Stratégies d’intervention et processus de changement…
→ Matériel ciblé et travaillé durant l’intervention
Durant l’intervention dans une approche humaniste, c’est avant tout l’expérience vécue dans l’ici et le maintenant qui est ciblée, c’est sur cet aspect que les intervenants travaillent. Ainsi, dans ce milieu de vie, adapté spécifiquement aux besoins des jeunes, où un cadre clair est définit, tant au niveau du temps, de l’espace, que des règles de vie (établissement d’horaires constantes, d’un espace sécurisant, d’un code de vie et de procédures cohérents et appropriés), le professionnel se centre sur les comportements observables et mesurables des jeunes, pour être en mesure d’évaluer son évolution et ses progrès. L’intervention laisse donc, particulièrement dans les premiers temps, une large place à l’étude des comportements dans la réalité du milieu de vie, par l’observation.
L’intervention met un accent tout particulier sur le projet de vie du jeune, qui est vu comme un « chemin tracé dans ses grandes lignes », qui lui ouvrira de nouvelles possibilités. C’est tout au long du suivi, par le projet d’intervention, que ce projet de vie est peu à peu mis en place et concrétisé, par un accompagnement du jeune dans les situations vécues, et en orientant sa participation dans les activités du milieu, ainsi que, peu à peu, son autonomie, car, en travaillant sur les forces et les faiblesses du jeune, c’est avant tout la généralisation des conduites acquises, qui est ciblée, ainsi que le retour du jeune à un certain équilibre.
Dans ce milieu de vie, la relation individuelle entre l’intervenant et le jeune est très importante. Les contacts intimes, la bonne connaissance de chaque jeune permettent notamment d’instaurer un lien de confiance avec ce dernier, et, de ce fait, de faciliter sa collaboration tout au long de son suivi. En plus du jeune, il est important de parvenir à rendre partenaire de la démarche d’intervention les parents et toutes les personnes significatives dans la vie du jeune, de façon à ce que le milieu naturel soit le plus propice à recevoir et accueillir le jeune, lors de son retour dans la communauté.
→ Attitudes encouragées chez l’intervenant
Dans la perspective psychoéducative, l’intervenant doit donc avoir une attitude à la fois d’éducateur et de psychologue. Il est donc interventionniste, puisque c’est directement au cœur du vécu du jeune qu’il intervient. C’est en cela que l’on parle de « vécu partagé ». L’intervenant doit donc pouvoir accompagner le jeune dans la participation aux différentes activités du programme, mais aussi participer activement à la vie du milieu : il doit être dynamique, congruent, disponible, sécurisant, encourageant, compréhensif, interactif. Il doit aussi, de façon plus technique, avoir des qualités d’animateur de groupes, d’évaluateur, de planificateur, d’organisateur, d’observateur, de facilitateur et de médiateur, lors de conflits, etc.
Il doit aussi parvenir, afin d’entrer en relation avec le jeune et de développer un lien significatif de confiance, pour vivre des relations harmonieuses avec lui, être à l’écoute, favoriser l’échange, rester objectif, être souple, empathique. On ne lui demande pas d’être neutre, puisque sa personnalité, ses valeurs et son vécu sont les forces de ses interventions et de ses méthodes de travail, auprès du jeune.
Par toutes ces qualités professionnelles, ainsi que sa connaissance sur chacun des jeunes pour leur permettre de les aider à réaliser leurs objectifs en leur donnant les moyens pour le faire et rendre le milieu opérationnel, il doit permettre aux jeunes de s’approprier ses objectifs généraux et de les atteindre, en leur donnant un sens. C’est par un système d’évaluation et de reconnaissance que l’intervenant parviendra à apprécier l’évolution des conduites des jeunes et que ces derniers intérioriseront peu à peu les comportements adéquats à acquérir, et ceux qui sont à abandonner. Des moyens renforçateurs, implicites ou explicites sont continuellement utilisés par les intervenants, pour signifier aux jeunes les progrès réalisés, et ceux qui restent encore à accomplir.
→ Interventions et rétroactions verbales de l’intervenant
L’intervenant doit avoir un discours encourageant, et reconnaître les qualités, les efforts et les acquis, bien plus que ses échecs et ses faiblesses. Il est important que lors des évaluations, le discours ne soit ni dévalorisant, ni culpabilisant, tant pour le jeune, que pour ses parents. Le système de reconnaissance mis en place permet que « le jeune puisse intérioriser la satisfaction d’avoir réussi ce qui était proposé ou pour lui souligner les progrès qui lui reste à accomplir. » (Gendreau, 2001) Ainsi, l’intervenant doit utiliser les félicitations, les témoignages de satisfaction, d’affection etc. le plus souvent possible, comme un renforçateur qui favorisera les comportements adéquats du jeune, et pour atténuer ou faire disparaître ceux qui ne le sont pas.
8. Indications/Contre indications…
Le modèle psychoéducatif est un modèle individuel et de groupe, privilégier tout particulièrement pour les adolescents en difficultés. Rien n’indique les contre indications du modèle psychoéducatif, en ce qui concerne les interventions en criminologie. Il semble, cependant, qu’elles ne concernent pas les adultes, mais uniquement les mineurs, ou jeunes majeurs, ceux-ci étant dans des stades de développement plus réceptifs aux changements, par un apport éducatif intensif.
9. Résultats et efficacité…
Gendreau nous énonce dans son texte que l’approche psychoéducative utilise un modèle d’intervention qui n’est pas scientifiquement quantifiable, c'est-à-dire que l’efficacité n’est pas réellement démontrée. Cependant, en ce qui concerne le taux de récidive, il semblerait, selon Leblanc et al., que cette approche a montrée de très bons résultats, particulièrement à la suite de l’évaluation de Boscoville, (Leblanc, 1983) où la méthode s’est avérée être la plus efficace en internat.
Aujourd’hui, à cause de certains changements sur le plan judiciaire et institutionnel, il semble que pour que l’approche reste efficace, elle doit être conjointe à une intervention cognitivo-comportementale ou cognitivo-développementale.
10. Conclusions sur « les ingrédients actifs »…
Un certain nombre d’éléments doivent être mis en place pour favoriser un changement, durable dans le temps.
Tant les fondements théoriques que les programmes qui sont à la base du travail de l’intervenant doivent mêler harmonieusement richesse, originalité et cohérence. L’intervenant doit avant tout avoir une bonne connaissance du jeune, de ses besoins, de ses forces et ses faiblesses, afin de pouvoir avoir un plan d’intervention individualisé le plus pertinent et adapté. Il doit croire dans le potentiel du jeune, et lui montrer qu’il met de l’espoir en lui. Il doit avoir une attitude bienveillante et respectueuse qui favorise la valorisation et la confiance, chez le jeune. Ses interventions seront appuyées par des outils, directement en lien avec le système de reconnaissance, pour permettre au jeune de renforcer ses comportements adéquates, et, finalement, de les généraliser. Il est conseillé d’utiliser au maximum pour le jeune des supports originaux, pertinents qui favorisent des expériences nouvelles, pour le plan d’intervention, afin de l’ouvrir à de nouvelles perspectives, adaptées à ses besoins et à ses forces.
Le milieu spécialisé doit lui aussi être adapté aux besoins de tous, et équilibré, entre chaleur et stabilité : l’objectif est que le jeune s’y sente bien, chez lui, mais soit contenu par un cadre permettant une vie en groupe satisfaisante pour tous. Les notion de temps et d’espace doivent donc être adaptés et réfléchis aux besoins des jeunes. Le groupe, quant à lui, doit être une force : Ce vécu partagé est un apprentissage social pour le jeune, qui apprendra à vivre les relations avec les pairs, les adultes, l’autorité, les règles, de manière adéquate.
Enfin, l’objectif final de l’intervention étant le retour du jeune dans la communauté, le milieu doit toujours s’inscrire au cœur de cette communauté, et particulièrement, celle du jeune. Le partenariat avec les parents, les acteurs sociaux significatifs est donc lui aussi un ingrédient essentiel pour permettre aux jeunes de retrouver un équilibre durable.
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